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ULYSSE - EPISODE 12

RETOUR VERS CHARYBDE           

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Seul survivant sur son radeau, Ulysse dérive à nouveau  vers le passage

entre  Charybde et Scylla. Mais cette fois, au moment où Charybde

engloutit l’eau de la mer en même temps que son radeau, Ulysse

retrouve ses qualités de stratège. Il racontera : « je saute au haut figuier ;

…m’y cramponne comme une chauve-souris. Mais je n’ai le moyen ni de

poser le pied ni de monter au tronc…Sans faiblir, je tiens là. » (1) 

Il se laisse ensuite retomber sur son radeau quand Charybde le recrache

avec la mer. Ulysse se situe ici dans une autre dimension, la dimension

verticale, qui  est représentée par l’arbre :

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Symboliquement, « l’arbre est un symbole universel de  croissance, de

verticalité, de lien entre la terre où il est enraciné et le ciel vers lequel

pousse sa frondaison. L’arbre, c’est un axe du monde. » De plus, « le figuier

est symbole d’abondance ». (2)

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Ulysse opère  un double mouvement d’ascension et de chute : « l’ascension est souvent le pendant de la chute dans … les processus de transformation psychique…Elle constitue alors l’un des deux pôles d’une alternance entre le dessus et le dessous…le mouvement entre l’intellect et l’instinct dans la quête de la connaissance de soi … L’ascension peut être symbolisée par un arbre, une échelle, une montagne. » (3) 

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Ulysse raconte aussi qu’il s’est  cramponné au figuier comme une chauve-souris. Or, « l’alchimie compare parfois l’esprit changeant de l’inconscient à des ailes de chauve-souris. C’est une manière de traduire non seulement l’obscurité, le mystère et l’ambivalence du psychisme mais également sa disposition et ses moyens imprévus, la manière dont il peut guider la conscience vers des sphères nécessitant une autre forme d’orientation et où peut résider l’anticonformisme fructueux de la nature. » (4)

Quant à sa suspension à l’arbre, elle peut faire penser à l’image du pendu dans le  tarot de Marseille : « Suspendu entre ciel et terre, il attend de naître….Le pendu cesse de s’identifier à la comédie du monde et à son propre théâtre névrotique, il offre en sacrifice au travail intérieur les inquiétudes de son ego. En ce sens, sa chute est une ascension. » (5)

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Le récit annonce un véritable transformation. C’est auprès de Calypso qu’elle se produira. 

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CALYPSO

 

 

Il se passe aussi parfois que le jour 

Lui devienne étranger

Comme étranger à lui-même

Il se voit sous ces voûtes à son tour passer 

Avec son sang déserté

Il ne voit près de sa main 

Que l’absence qui pourrait la toucher (6)

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Au sortir du passage entre Charybde et Skylla, Ulysse est  emporté très loin dans l’île de la nymphe Calypso. 

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Calypso est l’une des quarante et une océanides, filles  de Téthys et Okéanos, et donc sœur de Métis. Elle vit aux confins du monde connu dans une existence marginale.

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En grec ancien, le verbe « kaluptô » signifie « envelopper, cacher, couvrir ». Selon E. Kerenyi, Calypso est liée au thème de la caverne protectrice (7) , tandis que J. P. Vernant voit plutôt en elle « celle qui cache. » (8)

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Séductrice retirée du monde, elle accueille Ulysse comme une aubaine pour combler sa solitude et tente par tous les moyens de lui faire oublier son projet de retour à Ithaque. Pour arriver à ses fins, elle lui  offre le statut et la jeunesse d’un dieu en échange d’une intimité avec elle.

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Ce serait une immortalité bien réelle qui prendrait la place de l’immortalité du héros dans la mémoire collective : la proposition est séduisante. Mais  dans cette cage dorée, Ulysse y perdrait son identité humaine, familiale et sociale. « Oublier Ithaque, c’est, pour Ulysse, couper les liens qui le relient encore à sa vie et aux siens, à tous ses proches qui, de leur côté, s’attachent au souvenir de lui… », écrit J.P. Vernant. (9) Disparu dans la grotte de Calypso, Ulysse, même transformé en dieu, mènerait dans ce paradis régressif une existence « entre parenthèses », n’étant pour les humains « dans la condition ni d’un vivant ni d’un mort » (10), écrit encore J.P. Vernant.

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Ulysse refuse « une non-mort qui est aussi bien une non-vie. ». (11) C’est la première fois qu’il se positionne seul face à cette possibilité d’altération de sa nature et de son identité  propres, travail de tout qui veut progresser dans une croissance autonome.  « Le moi existe dans son jugement personnel de valeur. C’est par là qu’il peut se faire sans miroir », confirme

E. Humbert. (12)

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Rescapé de sa propre monstruosité, de ses propres inerties, Ulysse évite un autre tentation identitaire, celle de l’inflation illusoire de soi. Il décide d’assumer sa condition humaine. Il ne sera ni  bête, ni dieu, et il prendra ses propres valeurs pour guides. Il deviendra un homme.

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C’est de mesurer dans les tocsins

Du cœur, l’exacte mesure 

De cette brûlure qu’enfin

Ulysse à l’amour tu reviens… (13)

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Ce ne sont plus les tentations narcissiques de la gloire et de l’immortalité qui orienteront sa vie, mais un mode de relation assumé dans une éthique de vie qui se choisit. « Oh ! non », dira-t-il, «rien n’est plus doux que patrie et parents ; dans l’exil, à quoi bon la plus riche demeure, parmi les étrangers et loin de ses parents ? » (14) Le poète E. Brogniet y fait écho :

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Fatigué parfois

De courir ainsi les mers à l’infini

Vers ce qui se couche au fond des eaux

Avec le soleil englouti soir après soir

Ebloui quand il se penche sur son passé

Ou se projette en rêve vers l’avenir

Mais seul, toujours, au moment de se rejoindre

A l’intersection de lui-même et de son désir (15)

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 Peut-être Ulysse choisit-il, comme le dit J.P. Vernant (16), « la douceur amère de la condition mortelle », mais il semble bien aussi qu’il choisisse de prendre sa vie à bras le corps et d’assumer son identité d’être humain, identité à la fois extraite de la sauvagerie et différenciée de celles des immortels et des héros morts au combat. Il se définira comme homme, mari, père et maître de son île, rôles investis à partir d’un choix lucide que pourrait illustrer cette phrase d’Albert Jacquard : « Je suis les liens que je tisse. » (17) 

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INTERVENTION D’ATHENA

 

Dans le ressac des murmures au pied des monts

Ce qui était enclos s’est ouvert (18)

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Depuis le début de son périple, «tous les étrangers qu’Ulysse rencontre … semblent privés de dynamisme. Ils sont installés dans leur état et ils y restent, sans que des changements soient prévisibles. » (19)

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Mais au moment où Ulysse choisit d’assumer son identité d’homme, un dynamisme s’enclenche, cette fois dans le monde des dieux: « aide-toi et le ciel t’aidera! » Ces dieux qui mettent en oeuvre un processus de changement peuvent être considérés comme des figures archétypales de nos potentialités intérieures. « …le dieu personnifie l’inconscient collectif non encore intégré en essence humaine», écrit C.G. Jung. (20)

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Athéna, déesse de la guerre et de la sagesse, était déjà complice d’Ulysse pendant la guerre de Troie. Elle saisit l’occasion d’une assemblée des dieux à laquelle Poséidon n’assiste pas et intercède auprès d’eux pour qu’ils acceptent de libérer Ulysse de chez Calypso. Elle demande l’accord de  Zeus pour laisser Ulysse rentrer à Ithaque. Zeus, satisfait de la conduite et des offrandes d’Ulysse, décide de passer outre la colère de Poséidon : « Poséidon n’aura plus qu’à brider sa colère, ne pouvant tenir tête à tous les Immortels, ni lutter, à lui seul, contre leur volonté. » (21) La loi du plus fort- ou du plus grand nombre- semble parfois aussi régner chez les dieux… Athéna propose de dépêcher Hermès auprès de Calypso et s’en va à Ithaque soutenir Télémaque, le fils d’Ulysse, qui se trouve en difficulté.

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