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ULYSSE - EPISODE 2

L'ODYSSEE

Toute vie ne vaut point par la fixité des palais somptueux

Mais par ces métamorphoses du bleu, ces frissons d’extase

Que le vent soulève et fait souffler bien au-delà des bornages

Et des terres connues. (1)

Dans l’Iliade, Ulysse est décrit comme «…le fils de Laërte, l’industrieux Ulysse. Il a grandi dans le pays d’Ithaque au sol rocheux. Il est expert en ruses de tout genre autant qu’en subtils pensers.» (2) Portrait flatteur d’un homme qui se démarque déjà du héros guerrier : si ce dernier s’appuie sur sa force et son courage, Ulysse, lui est un négociateur et un stratège.

Mais à y regarder de près, au début du récit, Ulysse est un homme dont l’identité personnelle  n’est pas accomplie, même si ses qualités sont indiscutables. Son ancrage identitaire semble fixé d’emblée par sa situation familiale et sociale : il règne sur l’île d’Ithaque à la suite de son père, héritier d’une situation socio-économique flatteuse qu’il n’a pas dû construire lui-même. 

Il est aussi marié et père de famille, ancrage qui semble plus affirmé que le premier. Cet ancrage dans le couple est joliment illustré dans le mythe : Ulysse a construit son lit conjugal en utilisant, pour  dresser l’un des montants, un olivier enraciné dans le sol dont il a coupé la frondaison.

D’un point de vue personnel cependant, Ulysse n’assume pas ses engagements. Au moment où l’armée grecque s’embarque pour aller assiéger Troie en représailles à l’enlèvement d’Hélène, il tente d’échapper à ses devoirs militaires en se faisant passer pour fou, simulacre identitaire peu convaincant. Ses concitoyens n’étant pas dupes, il sera obligé de les suivre à la guerre où il se montrera exemplaire.

QUITTER TROIE

 

Tout centre n’existe que par sa périphérie

Tout projet ne vaut que par ses métamorphoses (3)

 

Quittant le champ de bataille de Troie, Ulysse et ses compagnons s’embarquent

dans l’espoir de regagner rapidement l’île d’Ithaque. 

Cette traversée peut être appréhendée symboliquement : «traversées, Odyssées, périples :

le bateau est le véhicule de nos pérégrinations mythiques…Il est si facile de se perdre lors

de la traversée de ces eaux inconnues, d’être avalé par les choses des profondeurs ou de

s’enliser… » (4) « Le processus psychologique emprunte souvent la métaphore du navire et du

voyage par-delà les océans: fixer une destination, manœuvrer, repérer le cap à suivre…

le périple du héros mythique évoque la circumnavigation consciente des méandres inexplorés

de la personnalité.»(5)

Ulysse devra descendre progressivement dans les abîmes de son propre psychisme avant d’en ressortir entièrement transformé et pourtant le même, mais cette fois en tant qu’homme accompli qui assume sa condition. 

Mais à ce stade du récit, son identité n’est pas encore solidement construite et il est emporté dans les méandres d’un monde archaïque, en-deçà de l’humanité et de la civilisation. Il y rencontrera des êtres étranges ou  monstrueux, des divinités, et des femmes.

 

Car nous projetons toujours une ombre

Et la cécité n’est pas là où vous la supposez. (6)

 

Selon la psychologie analytique, tous ces êtres rencontrés peuvent être considérés comme des aspects du monde intérieur d’Ulysse: tantôt des parties sombres ou inconscientes de lui-même, tantôt des aspects de son propre côté féminin. La rencontre avec l’adversité le fera mûrir jusqu’à ce qu’il conquière une identité d’homme accompli. Son histoire est celle de son retour à lui-même dans une maturation de sa personnalité négociée contre les écueils de l’identité. L’histoire d’Ulysse, c’est l’histoire d’un  homme qui apprend à manier son dynamisme constructeur, à prendre position à partir de lui-même et non des rôles qui lui ont été assignés, fussent-ils enviables. « Sans détermination, totalité et maturité, nulle personnalité ne se manifeste. », écrit C.G. Jung. (7)

 

Voici l’histoire du périple.

 

LES CICONES

                      

Le paysage : ciel, nuit

Au contact

De la région trouble

Inapaisée…

Tant de naufrages et tant de morts 

Sont la part sombre du maléfice

Avant qu’il ne se tourne 

Vers les îles éparses (8)

 

Après avoir quitté Troie, Ulysse et ses compagnons abordent sur la côte Thrace et saccagent la ville d’Ismaros. Ismaros, comme Troie, est détruite, saccagée. 

Symboliquement, «  la ville délimitait la civilisation, la séparant de la sauvagerie, ainsi que la solidité et la continuité par opposition à l’errance nomadique. » (9) , « Les cités, établies au centre du monde, y reflètent l’ordre céleste… », et enfin, « selon l’analyse contemporaine, la cité est un des symboles de la mère… Elle s’apparente en général au principe féminin.» (10) 

Ulysse se comporte comme un sauvage, détruisant un lieu d’ancrage sédentaire et de déploiement féminin. Symétriquement, son périple sera une dérive dans le monde non civilisé, une errance émaillée de  rencontres féminines inquiétantes, à la recherche du « centre » de sa destinée d’homme.

Les habitants d’Ismaros, appelés  Cicones,  ripostent avec violence après le saccage de leur ville, ce qui oblige les navigateurs grecs à fuir au plus vite. Ulysse et ses compagnons n’ont plus qu’à prendre le large: la quête est amorcée et il n’est plus question de faire demi-tour. 

Dans cette triste aventure, Ulysse perd sa superbe de guerrier. Son talent de stratège est pris en défaut puisqu’il se laisse surprendre par les Cicones. Son image sociale, sa « persona », dit-on en psychologie analytique, vole en éclats.

Il perd aussi six membres de son équipage. Il pratique un rituel de deuil qui consiste à les nommer solennellement, « ce qui revenait à faire vivre leur mémoire » (11) La tradition sous-jacente est, comme décrit à propos d’Achille, celle du héros mort jeune au combat mais immortalisé dans la mémoire collective. De plus, commente S. Milanezi :  «… cette salutation permettait aux âmes des trépassés de rejoindre en paix le royaume d’Hadès. » (12)

Mis en détresse, Ulysse recourt à un rituel, une coutume collective appartenant à sa culture, qui lui sert de point d’appui social dans sa détresse. Ainsi en est-il souvent face aux deuils. 

A plusieurs reprises ensuite, Ulysse perdra encore des compagnons de voyage tués ou noyés, ce qui signifie que la conquête de son identité implique des pertes, qu’il est impossible d’être tout, que des renoncements sont nécessaires pour pouvoir évoluer. Dans d’autres épisodes,  Ulysse récupèrera certains de ses compagnons altérés dans leur identité humaine, compagnons qui sont des reflets de ses propres incomplétudes identitaires. Il les ramènera à bord du bateau, ce qui signifie une intégration de cette partie non humanisée de lui-même, inconsciente jusqu’alors. « Visite l’intérieur de la terre, en rectifiant tu trouveras la pierre cachée », dit la devise des alchimistes. (13)

Non seulement Ulysse est obligé de se départir de son image de guerrier vainqueur, mais de plus, comme l’écrit E. Humbert (14), « dans les rêves, la première approche de l’ombre, » c’est-à-dire, de forces antagonistes qui nous appartiennent mais sont encore inconscientes, « est de l’ordre de l’attaque, du meurtre, de la guerre.  Il n’y a pour cela aucune raison qui tienne au contenu de l’ombre, c’est le frisson du conscient menacé.»

Ulysse fera le tour de ses ombres représentées par ses multiples rencontres en cours de navigation et aussi par ses compagnons de voyage. 

 

LE CAP MALEE

                    

L’exil est la condition dont s’inspirent nos altitudes 

Le cœur rejoindra le cœur en assumant

Emerveillements et blessures Ulysse ébloui (15)

 

L’entrée d’Ulysse dans des contrées étranges commence alors : une tempête  déclenchée par Zeus

le met en déroute, puis, au détour du cap Malée , « des vents de mort l’emportent pendant neuf

jours » (16) et le font accoster dans des régions inconnues où il rencontre des êtres insulaires,

marginaux, coupés du reste du monde, reflets de son chaos intérieur, de sa vie psychique encore

archaïque. « …certaines zones collectives, comme le fond sombre et chaotique de la condition

humaine, semblent être un contenu privilégié qui se retrouve en antagoniste naturel de toute

élaboration consciente», écrit E. Humbert (17)

Le récit du voyage d’Ulysse est  présenté en feed back. D’autre part, il parle tantôt de ce qui se passe

pour Ulysse et ses compagnons, tantôt de ce qui se passe à Ithaque en son absence, tantôt enfin de

ce qui se discute dans l’Olympe, lieu de résidence des dieux. Les étapes du voyage d’Ulysse sont ici

commentées dans leur ordre chronologique.

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