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ULYSSE - EPISODE 3

LES LOTOPHAGES​

​

Ce que l’on dit n’est plus perçu

Quand il n’y a plus dans les yeux

Qu’un rideau de neige flottante

Dans la conscience qu’une morphine 

Battant sans fin ses chiffons (1)

​

Ulysse et ses compagnons abordent chez les Lotophages, mangeurs de Lotos. Ces êtres  ne sont pas des « mangeurs de pain » Dans la Grèce antique, être « mangeur de pain » (2) signifie faire partie du monde civilisé qui maîtrise l’agriculture et la transformation des céréales. 

Ils offrent aux compagnons d’Ulysse des fleurs et des fruits qui ont la propriété de les mettre « dans l’oubli de leurs origines, de leurs appartenances et de leurs désirs » (3) Les botanistes hésitent quant à l’identification de la plante. Peu importe : ce qui compte dans le récit, c’est que les compagnons d’Ulysse qui en consomment  sont atteints d’amnésie : ils sont dans l’oubli du retour, réduits à être « sans nom, sans enracinement et sans tradition. »  (5) Ils s’abîment dans une inconscience héros chanté dans la mémoire collective. Ils représentent une facette d’Ulysse lui-même, celle qui pourrait sombrer dans la néantisation: « le principal danger », écrit Sylvain Tesson, « consiste à oublier son but , à se déprendre de son but… Se renier, indignité suprême. » (6). De force, Ulysse ramène ses compagnons au navire. Il résiste ainsi à la tentation de sombrer dans l’inconscience pour  maintenir à la fois son projet de retour et la permanence de son  identité.  « La mémoire ne compte vraiment… », écrit Italo Calvino (7), « que si elle garde tout ensemble l’empreinte du passé et le projet du futur, si elle permet de faire sans oublier ce qu’on voulait faire, de devenir sans cesser d’être, d’être sans cesser de devenir. » 

Le premier écueil identitaire, représenté par « l’oubli » est  l’inconscience totale, le renoncement à se constituer une existence et une place sur terre. Toute réalité semble gommée par l’euphorie des Lotophages. « Et chacun de nous », écrit JP Vernant (8), «porte en soi une part nocturne qui s’appelle sommeil, oubli, vieil âge, trépas, obscurité, aveuglement de l’esprit, laideur, indignité. Pour retrouver sa patrie, son épouse, sa famille, son sceptre royal, Ulysse doit traverser bien des épreuves…Mais le péril qui risque le plus directement de lui faire perdre son identité, c’est que les puissances d’obscurcissement qui résident en lui, ou qui le menacent du dehors,  -ce sont les mêmes- , ne parviennent à étendre leur zone d’ombre jusqu’à tout cacher de cette lumière qui le rend à la fois visible et voyant. » 

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